“Ashik”: un voyage envoutant entre groove et poésie d’Anatolie

En Janvier 2020 Emrah sort son premier album Ashik,  peu avant le confinement. C’est un musicien talentueux qu’on avait rencontré en 2018 dans le contexte de l’organisation d’une soirée Ramdam Panam pour laquelle il a joué. Il accompagnait alors le chanteur Ozgun.

Après avoir découvert et kiffé son album groovy et envoûtant on a tenu à retrouver cet homme affable et passionné pour discuter, avant son grand concert parisien du 6 Novembre au FGO Barbara. Et c’est sur le pont de la péniche Anako, à Paris, qu’on a retrouvé le très actif Emrah Kaptan, quelques heures avant qu’il monte sur scène pour jouer avec son autre groupe, Kavkazz ensemble. 

Ramdam: Salut Emrah! On est ravis de te retrouver, sur ce navire. Après avoir savouré ton 1er album, on aimerait que d’autres personnes puissent te découvrir, et avoir l’envie de t’écouter!

Peux-tu te présenter?

EMRAH: Alors voilà, mon prénom c’est Emrah, mon nom de famille Kaptan, je suis musicien depuis…maintenant trop longtemps… (rires), bassiste principalement. Après je joue plein d’instruments traditionnels, comme le Saz, le Cümbüş, ça me sert beaucoup pour la production, quand j’ai des idées, que je les enregistre, après je fais forcément appel à des musiciens dont c’est leurs instruments de prédilection, mais bon tout ça s’est fait sur des années et pour la production et la conception de musiques de films, c’est plutôt une bonne chose d’élargir la palette sonore. Pour autant c’est vrai que la basse et la contrebasse sont mes instruments du début, et qu’on m’appelle souvent en tant que bassiste et contrebassiste pour jouer sur des projets.

Ramdam: Et tu chantes aussi, comme on l’entend dans l’album…

EMRAH: Oui, le chant finalement pour moi, c’est comme un instrument. Comme beaucoup de chanteurs j’aime pas ma voix, mais je le vois plus comme un instrument tel que le sax ou la flûte.

Ramdam: Revenons sur le titre de ton l’album, Ashik. Peux-tu expliquer ce que ça signifie pour ceux qui ne connaissent pas?

 EMRAH: Ashik, c’est un mot que l’on retrouve beaucoup en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, c’est ce qui m’a personnellement interpellé. La signification est multiple, par exemple, les tunisiens l’emploie très souvent pour remercier. En Turquie et en Anatolie, on l’utilise pour désigner les troubadours, les ménestrels de l’époque. Ceux qui contaient des histoires de village en village étaient des poètes, des musiciens, qui ont fait évoluer la culture. On les appelle aussi ozan car je pense que le mot ashik vient de l’arabe. La langue turque est un mélange avec des mots qui viennent de l’arabe, du perse.

Pour moi, la Turquie c’est une sorte d’Etats-Unis, c’est le pays qui a regroupé, les Balkans, le Moyen-Orient, l’Asie Centrale, le Monde Arabe. Auparavant c’était l’empire Ottoman qui a été influencé et qui a assimilé toutes ces cultures donc beaucoup de mots sont restés. J’ai repris les poésies des Ashiks et les ai mises en musique.

région de Cappadoce (Turquie)

Ramdam: Combien de temps a pris la conception de l’album? Comment cette idée t’es venue?

EMRAH: L’idée a émergé vers 2013 à travers plusieurs rencontres. J’ai fini mes études à Strasbourg en 2005 et j’suis venu à Paris un an après. J’ai petit à petit rencontré du monde et bossé avec d’autres musiciens. L’album a pris du temps à se mettre en place, par période. Certains titres ont été enregistrés en 2015, en 2017 et la plupart deux ans avant la sortie. Donc ça a pris 5 ans pour se construire, c’était laborieux.

Ramdam: Il y a 11 morceaux dans ton album avec plusieurs intervenants, tu peux nous en dire plus sur ceux qui t’ont accompagné dans ce projet musical?

EMRAH: Alors, il y a Gulay Hacer Toluk, une chanteuse franco-turque que j’ai rencontré lors de mon arrivée à Paris. Je l’appelle personnellement la Césaria Evora d’Anatolie car sa voix est incroyable.

Umadevi Nageswara Rao est une chanteuse indienne, venue plusieurs fois à la maison pour bosser sur le projet. Elle a enregistré le titre Street Semai.

Edika est une autre chanteuse avec qui j’ai travaillé, une chanteuse kurde. Elle chante sur le titre Civeloy.

Il y a le chanteur Taylan Özgür Ölmez, qui vit en Turquie mais que j’ai rencontré lors d’un concert à Paris. J’étais choqué par sa voix et son répertoire qui correspondait à l’univers de mon album. Il a prêté sa voix pour le titre Ervah-I-Ezelde.; un poème datant du fin 18ème-début 19ème siècle. Tayla le connaissait et l’a interprété selon mes arrangements.

Ramdam: On a essayé de chercher les traductions de ce poème sur internet mais sans trop de succès…

EMRAH: (Rires) Ah oui, moi même j’ai essayé au début mais c’est assez compliqué. Les poèmes sont très métaphoriques en Anatolie, très imagés donc il y a plusieurs interprétations. Un mot peut avoir 3 sens différents. Après chacun est libre d’interpréter le texte comme il le souhaite. Mais je vous passerai mes traductions pour que vous ayez MES interprétations personnelles.

Ramdam: Bah carrément… du coup 11 titres, plusieurs chanteurs, et des musiciens. On entend pas mal de clarinette aussi?

EMRAH: Oui mais pas que… On entend de la flûte d’Azerbaïdjan, de la cornemuse d’Anatolie, le tulum. Les influences sont turques et azeris.

Ramdam: Tu cherchais à viser un style particulier ou juste à représenter une culture dans sa globalité? On remarque dans Civeloy, un style particulier de la région de la mer noire…

EMRAH: Oui on peut dire que mon deuxième single est un titre de La Mer Noire. Ma famille vient de là-bas donc je souhaitais marquer le coup avec des morceaux et poèmes traditionnels du Caucase.

J’utilise des instruments proches de cette culture. Dans le sud-est, on utilise plutôt la bombarde d’Anatolie mais dans le nord-est, l’ instrument de prédilection c’est le tulum.

Joueur de Tulum

Ramdam: Ton album est sorti dans un contexte particulier, avec le confinement. Comment tu te sens aujourd’hui à l’approche de ton concert le 6 Novembre au FGO Barbara, c’est quand même une grosse date…

EMRAH: J’ai pu jouer deux/trois fois en concert des morceaux de l’album entre les confinements et couvres-feux mais je m’étais déjà produit plusieurs fois avant la pandémie, pour jouer des morceaux similaires sous le concept “anatolian project”. J’ai pu voir ce que ça donnait en live.

Je vais défendre le truc en essayant de jouer avec le concept live, le côté spectacle, faire danser les gens mais ça restera dans l’ univers Ashik en rajoutant des choses seulement possibles en live.

Ramdam : J’imagine que tous les intervenants ne seront pas sur scène samedi donc comment ça va se passer?

EMRAH: Cinq musiciens seront avec moi sur scène, dont un batteur avec percussion digitale, Sylvain Barou pour les instruments à vent, un trompettiste, un pianiste/claviériste. Gulay Hacer sera au chant et moi à la basse.

Il y aura des petites surprises mais il faut venir pour savoir.

Ramdam: On n’en dit pas plus alors… On sait que t’es un homme bien actif, que tu es aussi très investi dans le groupe Kavkazz Ensemble, et que tu te développes aussi dans l’environnement d’un tout jeune label…

Logo du Tchai label

EMRAH: Oui, je suis épaulé par le Tchai label, un tout jeune label qui s’est monté pendant le confinement. Cette structure proche de mes idées me permet de développer mes projets. D’ailleurs le groupe Kavkazz, emmené par mon ami Fabien Mornet, et avec lequel je m’apprête à jouer ce soir, fait parti de ce label. C’est une belle aventure qui commence.

Membres du Kavkazz ensemble

Ramdam: Comment vois-tu l’avenir musical pour toi? Un deuxième album?

EMRAH: Avec le confinement, j’en ai profité pour produire des artistes, faire des arrangements. J’étais enfermé donc j’ ai composé pas mal de choses. Un deuxième album est en cours; très différent de Ashik mais toujours avec des sonorités anatoliennes. Le style sera bien différent avec un son accès sur les années 80.

Ramdam: Dans le délire d’Altin Gun?

EMRAH: Moi je serai plus dans le côté pop année 80. Altin gun est plus dans le délire psyché des années 70. Ils le font à merveille, ça revient au goût du jour.

On m’a toujours dit que les phénomènes de mode revenait tous les 30-40 ans donc je me dis qu’entre 2020 et 2030, les années 80 seront au top. Et puis je suis né dans les années 80 donc forcément ce sont des sonorités qui sonnent en moi, toujours présentes et qui restent dans ma tête.

Ceux qui me suivent sur les réseaux ou me connaissent savent que je suis beaucoup dans le groove, la musique funk, surtout en tant que bassiste. Donc j’en dis pas plus mais ce sera sûrement axé dans ce délire.

Donc voila, le 6 Novembre, venez tous, c’est le weekend donc pas d’excuses. J’espère que les gens seront au rendez -vous et nous donneront le maximum pour passer une belle soirée en musique.

https://fgo-barbara.fr/programmation/emrah-kaptan-scpp-1-session-2-tbc

Ramdam: Chanmé, on sera là et on a hâte!

Merci!

Interview d’Emrah Kaptan par Ramdam Panam, le samedi 23 octobre 2021 à la Péniche Anako (Paris 19)

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